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Agnosticisme révisé

Daniel Barrow
Aleesa Cohene
Benny Menerofsky Ramsay
Emily Vey Duke et Cooper Battersby
Jim Verburg

Commissaire invité : Mark Clintberg

Agnosticisme révisé présente des vidéos récemment produites par de jeunes artistes canadiens.  Les œuvres de cette exposition traitent de la problématique des manifestations confessionnelles, persuasives ou émotives dans l’art.

Les émotions sont représentées au quotidien pour énoncer aux autres des désirs et besoins au moyen d’une série de gestes, de mots et de codes sociaux choisis avec soin. Les artistes énoncent aussi des émotions dans le but de communiquer des idées à leur auditoire, mais souvent dans l’espoir de renverser la stratégie conventionnelle de communication. La différence entre l’auteur et le narrateur s’estompe dans ces vidéos, ils remettent en question la présumée authentique voix de l’artiste, à savoir si elle présente une position quasi-biographique ou politique ou si les émotions révélées dans l’œuvre sont tout simplement la représentation de sentiments complètement fictifs.  Cette troublante ambivalence peut alors rendre confuse toute tentative d’interprétation.

Le titre de l’exposition décrit bien l'ambiguïté de cette situation. L’agnosticisme c’est l’inconnaissable, ce qui ne peut être compris par l’esprit humain. Les agnostiques en viennent à la conclusion que le royaume métaphysique, de par sa nature, est inaccessible.

Le terme agnosticisme n’est pas utilisé ici dans son sens spirituel, mais plutôt pour décrire l’état d’un auditoire mis au défi de déterminer la sincérité de l’exécution d’un artiste.  Est-ce que l’analyse d’une œuvre d’art se doit d’adopter une condition semblable « d’inaccessibilité » quand elle touche à son contenu émotif ? Et, semblablement, le contenu émotif de notre nature est-il essentiellement inaccessible aux autres ? Cette tension est au cœur même des œuvres présentées dans cette exposition : elles tentent de persuader en créant un sentiment de crédibilité, d’espoir et de crainte chez l’auditoire au moyen de scénarios qui sont essentiellement des simulations.  Et comme l’implique si bien la vidéo d’Emily Vey Duke et Cooper Battersby, les beaux-arts exploitent l’artifice.  Le dilemme qui en émerge est de trouver comment présenter un sentiment sincère par le biais d’une forme d’art qui offre de telles limites – et de telles possibilités.

Artist Statement [2007] de Daniel Barrow est une saisissante et franche confession des trépidations, des insécurités et des anxiétés ressenties par l’artiste.  Il partage avec l’auditoire son manque d’inspiration et sa crainte de l’insuccès dans des aveux qui frôlent la limite entre le cri du cœur et le désintéressement cynique.  La vidéo met en doute la possibilité que l’art puisse être une communication réussie entre le spectateur et l’artiste.  Selon le récit de Barrow, l’artifice de l’art est devenu un piège.

Ready to Cope [2006] d’Aleesa Cohene se veut une réflexion sur l’état émotif de personnes qui vivent dans la peur. Illustrant une existence quotidienne enveloppée d’une perpétuelle négociation pour se protéger contre des ennemis, la vidéo de Cohene dévoile la vitesse avec laquelle les forces de la gouvernance utilisent  les sentiments d’instabilité pour servir leurs propres intérêts. À l’aide d’images saisissantes et d’une bande sonore envahissante, Cohene manipule de la même manière les sentiments d’anxiété du spectateur. L’œuvre représente ainsi une autre forme d’agnosticisme : l’acceptation qu’un péril continuel – l’inconnu – nous entoure.

Je changerais d’avis [2000] de Benny Nemerofsky Ramsay est la reprise émotive d’une chanson populaire française.  On voit l’artiste en quête d’un but insaisissable : l’affection de sa distante aimée, invisible pour le spectateur.  Le personnage présenté par Benny Nemerofsky Ramsay est prêt à se sacrifier et même se fondre dans l’oubli pour une seule chance de se retrouver avec son aimée. Toutefois, tout au long de la pièce, il n’est pas certain que les épanchements de l’artiste sont fondés sur des émotions réelles ou s’ils ne constituent qu’une saisissante mise en scène.

The Fine Arts [2001] de Emily Vey Duke et Cooper Battersby présente un scénario d’incertitude qui, en fait, constitue le pivot de cette exposition. C’est un document absurde dont l’interprète modifie continuellement sa position quant à la nature de l’exercice de l’art.  La vidéo, qui est sous-titrée en anglais, met en vedette Vey Duke, dépouillée de vêtements, s’exprimant en mauvais français.  Elle répète, d’une voix fatiguée et traînante : «Je déteste les beaux-arts. Je déteste et je suis dégoûtée par les beaux-arts, parce que,  hum,  les beaux-arts sont toujours faits d’artifices. Je ne … vraiment  …. vraiment je ne pense pas ça. Vraiment, je pense que l’artifice c’est très bien et aussi toutes les choses qui font l’identification, c’est très bien, hum, toutes les choses qui font la connexion émotionnelle c’est très bien … »  Ce ton de désintéressement et d’ennui caractérise le monologue. Mais quelle position défend-t-elle ? Jusqu’au dernier moment, le spectateur nage dans l’incertitude.

For a Relationship [2006] de Jim Verburg consigne dans le mode de journal intime un portrait subjectif des liens avec famille, amis et amants.  La vidéo se penche sur la propre vie de Verburg, résumée dans une rapide succession de photos, périodes de vacances, exploits sexuels, tendres épanchements, et confrontations avec le paysage.  Il en ressort un vécu soumis à un système de valeurs que l’artiste souhaite partager. Le monologue de Verburg s’adresse à un inconnu – peut-être parent ou ami. Ses tentatives de communication avec cet individu sont criblées d’attentes et toujours repoussées. La vidéo de Verburg peut susciter chez le spectateur, soit des sentiments de sympathie ou de contradiction. Toutefois comme elle est formulée pour présentation publique, son statut en tant que performance émotive authentique demeure forcément suspect.


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