Concordia University

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Série de projections et conférences :
Allegory, Folktales & Poetics of Soviet
Cinema in the Work of Sergei Parajanov

Commissaire: Marcin Wisniewski

Du 19 janvier au 16 février 2013
Projections sur le 19 janvier, 26 janvier, 2 février, 9 février, 16 février
Chaque projection est précédée par une conférence et un court métrage

Sergei Parajanov, The Colour of Pomegranates, 1968, image de film 35mm

 

 

Démarche

Le rôle de la beauté est d’affranchir le spectateur et de reconnaître son pouvoir – de définir un territoire de valeurs partagées entre l’image et son public, puis d’y exposer l’argument en valorisant le contenu problématique du film. En effet, si elle est dépourvue de l’intention urgente de reconstruire le point de vue du spectateur, l’image n’a aucune raison d’exister, et encore moins d’être belle.

              En 1964, Sergei Parajanov présente Les chevaux de feu, déroutant la censure et la critique soviétiques, mais se taillant une place aux côtés des maîtres du septième art. Ce film à la conception audacieuse et à la photographie stupéfiante allie le charme de la mythologie au caractère hypnotique de l’iconographie religieuse et à la magie des croyances païennes. L’intrigue s’articule autour d’une galerie de personnages épris de la vie qui endurent la cruauté de leurs conditions historiques. Évitant les allusions à une quelconque lutte des classes, l’œuvre contourne les exigences du réalisme socialiste imposées par le régime et marque ni plus ni moins la naissance d’un nouveau mouvement au sein du cinéma soviétique, l’École poétique. Les réalisateurs de cette nouvelle vague puisent leurs sujets dans l’ethnographie et l’exotisme, et font une lecture particulière de l’histoire pour livrer leur vision de la condition humaine.

              Or, ce n’est pas avant 1968 et La couleur de la grenade que Parajanov se dévoue entièrement au potentiel esthétique de l’image. Caractérisé par l’immobilité presque totale de la caméra et une expressivité picturale extrême, ce film se divise en une série de tableaux remarquables sur la vie et la mort du poète arménien Sayat Nova. Au final, chaque plan représente en soi une peinture et une partie indépendante de la composition globale. Paroles et commentaires disparaissent quasi complètement, les textes à l’écran n’ayant aucune fonction illustrative. « Émerge alors une structure poétique complète en soi », note G. Manevich.

              Le film suivant de Parajanov, La légende de la forteresse de Souram, sort en 1984 après la libération du cinéaste, incarcéré pendant des années pour subversion idéologique. Fidèle à son esthétique vive et surréaliste, le cinéaste compose, en racontant la désagrégation d’une forteresse, une ode au guerrier géorgien. Les thèmes de l’amour impossible, de la prophétie et du martyre sont évoqués au moyen d’images de chevaux blancs enveloppés de tissus bleu pâle et de funambules exécutant leurs prouesses dans le désert.

              En 1988, Parajanov signe son dernier film, Achik Kérib. Tirée d’une légende islamique et inspirée par l’esthétique de la miniature persane, cette œuvre est certes sa plus statique, mais aussi sa plus optimiste. De pair avec le monteur de son, le cinéaste élabore par son emploi caractéristique du collage une trame sonore mariant des airs du ballet Gisèle et du folklore de l’Azerbaïdjan. Il permet à la musique d’éblouir le spectateur. Cependant, comme dans le reste de sa production, c’est l’image qui règne. Ainsi, les héros se contemplent les uns les autres plus qu’ils ne parlent, et les compositions frontales éclectiques font allusion à l’état originel du monde.

              En se référant aux contes populaires et aux légendes anciennes, Parajanov se libère du carcan du réalisme socialiste. Cependant, si sa prédilection pour les récits nationalistes le dispense de la nécessité d’aborder les questions de la lutte des classes et du Parti communiste (sujets de bon aloi du cinéma appuyé par le régime), elle problématise également beaucoup son œuvre. Elle l’amène en effet à mettre l’accent sur des thèmes très humanistes : le bien contre le mal, la vie et la mort, les injustices infligées aux innocents par des forces indépendantes de leur volonté, l’amour et notre rapport avec Dieu. Chez Parajanov, leur traitement se fonde sur l’allégorie, c’est-à-dire la représentation de concepts abstraits par des images concrètes. Critiqué par les censeurs soviétiques pour son hermétisme et son emploi d’un langage accessible à une petite élite seulement, le film interpelle le spectateur et l’invite à réfléchir à l’image, à son contenu et à ses significations. Le plan d’ouverture de La couleur de la grenade montre une toile blanche sur laquelle repose un poignard et une grenade laissant s’écouler un jus rouge. L’image et sa forme sont d’une simplicité frappante et d’une grande richesse sémantique : liquide rouge > sang > vie, poignard > mort. En un plan et sans aucune action ni parole, les thèmes du film sont exposés. En refusant de mettre en scène des moments historiques réels, en masquant l’action à l’écran à l’aide de rituels (ré)inventés qui ne figurent dans aucun texte historique et en imbriquant des éléments visuels issus de diverses traditions graphiques, Parajanov crée un monde extratemporel et extranational où chacun peut trouver sa place. Comme l’écrit Giorgi Gvakharia dans son article « Sergei Parajanov’s Ecumenical Vision » (la vision œcuménique de Sergei Parajanov), l’œuvre de Parajanov – comme celle du peintre géorgien Niko Pirosmanishvili – se caractérise par « un sens du statut historique, une troublante immobilité de la toile, la coexistence du tragique, du grotesque et du comique au sein de la figure humaine, ainsi que la capacité de la composition frontale (s’élevant toujours une forte élévation à l’horizon) à contenir en apparence l’univers tout entier ».

« Je suis un rossignol captif en terre étrangère, et vous êtes ma cage en or. » (La couleur de la grenade)

              L’œuvre de Parajanov expose le spectateur au pouvoir irrésistible de la beauté picturale. Qu’elle soit revêtue de magnifiques costumes et nimbée de coutumes imaginaires du sud de l’Ukraine, de l’Arménie, de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan, ou qu’elle se réclame de l’héritage des plasticiens de la Renaissance européenne, de la Byzance chrétienne et de l’Islam, la beauté se veut la force unique des films du maître soviétique. Que ce soit à la faveur d’images très mobiles, comme dans Les chevaux de feu, ou quasi complètement statiques, elle se hisse à l’avant-plan des œuvres de Parajanov. Plus qu’une simple présence, la beauté des images frappantes du cinéaste saisit le spectateur, réclamant reconnaissance. C’est ce qui en constitue la force, et elle commence à prendre vie, fidèle à l’analyse qu’en fait Hickey. Puissantes et expressives, les images de Parajanov exigent que le spectateur s’ouvre à leur message. C’est à ce moment de la rencontre entre le public et l’œuvre que la beauté donne en retour en permettant au spectateur de réfléchir et de reconstruire sa vision de la condition humaine.

              Le programme du cycle de projections de courts métrages a été établi de manière à refléter et à respecter les paramètres de l’exposition, qui se fondent sur des préoccupations découlant de l’œuvre de Parajanov. We Refuse to Be Cold (« nous refusons d’avoir froid »), d’Alexander Carson, est un magnifique récit de séduction et d’amour se déroulant en hiver à Montréal. The Jewelleries (« les bijoux »), d’Eugénie Cliché, et Un mariage chimique, d’Unai Miquelajáuregui, sont des odes expérimentales à la sexualité et à la sensualité humaines. Skatne Ronatehiarontie (« ils poussent ensemble »), de Marion Delaronde Konwennenhon, et Prayer Beads (« perles de prière ») de Han Han Li, exploitent le pouvoir de l’image animée; faisant appel à leur culture d’origine, les artistes présentent respectivement une fable mohawk et une réflexion sur la tradition bouddhiste chinoise. Dans Čiurlionis, Nadia Mytnik-Frantova rend hommage au peintre et compositeur lituanien Mikalojus Konstantinas Čiurlionis en alliant la photo à l’animation selon une technique fortement inspirée du collage parajanovien.

              Le cycle de conférences présenté en parallèle abordera l’École poétique, la politique de la beauté dans l’art, l’esthétique et la dissémination de l’art du Moyen-Orient, ainsi que les structures narratives des contes traditionnels. Explorant les idées de la rencontre, de la beauté, de l’allégorie et de l’art du récit, cette exposition vise à offrir au spectateur une série de cadres et à susciter sa participation à une vaste discussion.

 

Bibliographie :

Gvakharia, Giorgi. « Sergei Parajanov’s Ecumenical Vision » dans Armenian Review (rédacteur en chef : James Steffen). Vol. 47/48, nos 3-4/1-2, (2001/2) : p. 93-104, imprimé.

Hickey, Dave. The Invisible Dragon. University of Chicago Press, Chicago, 2009.

Marshall, Herbert. « The New Wave in Soviet Cinema » dans The Red Screen: Politics, Society, Art in Soviet Cinema (rédactrice en chef : Anna Lawton). Routledge, Londres, p. 175-192.

 

 

Biographies

Marcin Wisniewski, commissaire

Écrivain et conservateur, Marcin Wisniewski s’inspire des cinémas nationaux ainsi que des questions liées à l’identité, à la beauté et à l’esthétique de l’excès. Dans sa pratique pédagogique et de conservation de même que dans les programmes qu’il met sur pied, il entreprend de faire réfléchir le public à la validité de la cohérence supposée des récits.

 

Masha Salazkina 

Les travaux de Masha Salazkina incorporent des approches transnationales de la théorie et de l’histoire culturelle du cinéma; ils portent principalement sur les débuts du septième art en Union soviétique, en Amérique latine et en Italie. Ses écrits ont été publiés dans Cinema Journal, Screen et KinoKultura ainsi que dans plusieurs recueils d’essais. De plus, Masha Salazkina a remporté des bourses de l’American Council of Learned Societies et Humanities Center de l’Université Stanford. Auteure de In Excess: Sergei Eisenstein’s Mexico, elle codirige actuellement un recueil sur les trames sonores du cinéma soviétique et russe. Avant son arrivée à Concordia, Masha Salazkina a enseigné aux universités Colgate et Yale.

 

jake moore

Artiste, conservatrice et travailleuse culturelle canadienne, jake moore a exposé ses œuvres dans de nombreux lieux au Québec et au Canada. Elle croit que la beauté est profondément politique, puisqu’elle identifie la personne qui la perçoit et cible des moments très précis. Du reste, ces notions l’habitent lorsqu’elle manipule son support de prédilection : l’espace. Selon moore, l’écriture est d’ailleurs une occupation spatiale. Ainsi, dans le cadre de sa pratique conceptuelle, le langage et ses produits ne complémentent ni ne prolongent son travail en studio, mais s’y intègrent plutôt.

 

Tatiana Levesque

Doctorante au Département d’études russes et slaves de l’Université McGill, Tatiana Levesque possède un baccalauréat et une maîtrise ès arts en études cinématographiques de l’Université Concordia. Spécialiste de la littérature et du cinéma soviétiques de la fin des années 1980, elle examine, dans sa thèse de doctorat, l’héritage de Mikhail Bakhtin et l’idée qu’il se fait du rire carnavalesque dans le contexte de l’histoire culturelle russe.

 

Monia Abdallah 

Monia Abdallah a obtenu son doctorat en histoire de l’art à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, en 2009. Intitulée « Construire le progrès continu du passé : enquête sur la notion d’art islamique contemporain (1970-2009) », sa thèse porte sur l’origine, l’évolution ainsi que les ambiguïtés de cette conception. Monia Abdallah est professeure d’histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal.

 

Marion Delaronde Konwennenhon 

Depuis toujours, Marion Delaronde Konwennenhon se passionne pour les récits et s’efforce de donner aux artistes, conteurs et cinéastes de sa communauté un endroit où ils pourront évoluer. Par ses œuvres, elle vise à sensibiliser le public à la préservation de la langue grâce à l’art. Ainsi, elle a fabriqué des marionnettes pour des projets linguistiques en ojibwa, en malecite et en salish du littoral.

 

Han Han Li 

Selon Han Han Li, l’animation est le moyen le plus efficace de stimuler l’imagination collective. Elle réfléchit sur l’histoire, l’art, les systèmes de croyances et les réalités sociales – vastes thèmes auxquels s’intéressent également les organismes culturels panasiatiques dans une optique tant scientifique qu’artistique. Dans son œuvre, Mme Han Li explore l’animation en tant qu’outil permettant de partager la beauté et les connaissances, de mettre au jour des problèmes sociaux et de proposer des solutions.

 

Alexander Carson

Cinéaste et artiste médiatique canadien, Alexander Carson vit à Toronto. Pour l’essentiel, ses courts métrages se caractérisent par la combinaison de structures expérimentales et de modes narratifs traditionnels. Ils ont été projetés dans de nombreux festivals importants au Canada, aux États-Unis et en Europe. M. Carson est titulaire d’un baccalauréat ès beaux-arts et d’une maîtrise ès arts de l’École de cinéma Mel-Hoppenheim de l’Université Concordia. Membre fondateur du collectif North Country Cinema, il a par ailleurs remporté le Prix de la meilleure réalisation au Festival du film en Route d’Air Canada pour We Refuse to Be Cold.

 

Unai Miquelajáuregui 

Visualiste et cinéaste mexicain, Unai Miquelajáuregui habite actuellement à Montréal. Dans sa pratique, il considère le spectateur comme un aspect essentiel du processus de création esthétique. Avec sa compatriote, l’artiste Laura Hernandez, il participe au projet multidisciplinaire d’installation collaborative Conscientia, présenté à la biennale d’art de La Havane en 2012. Alliant sculpture, peinture, musique, vidéo, projection holographique ou illusionniste et danse, Conscientia explore divers stades de la conscience humaine.

 

Nadia Mytnik-Frantova 

Nadia Mytnik-Frantova est cinéaste, peintre, graphiste et vidéaste. Après des études en conception graphique et en illustration à l’Université d’État de Moscou pour les arts d’impression, elle a travaillé en tant qu’illustratrice de livres, graphiste, peintre et fabricante de marionnettes. En outre, elle a participé à plusieurs expositions à l’échelle nationale et internationale. Nadia Mytnik-Frantova a récemment décroché un diplôme en cinéma et cinéma d’animation à l’Université Concordia.

 

 

Liens

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