Du 20 mai au 14 Juin
IZHIZKAWE: TO LEAVE TRACKS TO A CERTAIN PLACE: AN EXHIBITION
OF CONCORDIA’S INDIGENOUS ALUMNI
Ouvrir la voie
À mon entrée au programme de maîtrise en histoire de l’art de l’Université
Concordia, j’ai noté des traces laissées par des artistes d’ascendance
autochtone. Avant-gardistes et pleinement conscients du potentiel
de leurs créations, ces artistes se sont distingués à l’Université.
Leur aptitude à repousser les limites et à utiliser le passé
pour progresser a beaucoup influencé mon épanouissement culturel
et universitaire. Leurs traces m’ont de nouveau convaincue que
j’avais besoin d’essayer de tracer ma propre voie.
L’exposition Izhizkawe: To Leave Tracks to a Certain Place présente
les œuvres de douze artistes qui continuent de se démarquer en
dehors de l’Université. Bien qu’ils recourent à différents moyens
d’expression, ces artistes exposent des problèmes partagés face
à la colonisation. Peu importe l’époque où ils ont étudié à Concordia,
leur nation ou leur lieu de résidence, ils défient visuellement
les stéréotypes, s’engagent dans la collectivité, explorent les
rapports à la terre et affirment leur identité autochtone avec
une forte ténacité culturelle.
Les stéréotypes illustrent les idées fausses reliées à la colonisation.
Ils peuvent prendre plusieurs formes − films hollywoodiens, tatouages,
romans de quatre sous, photographies, etc. − et se graver dans
notre psyché, influant ainsi la façon dont nous nous définissons
culturellement. Ainsi, Arthur Renwick permet une confrontation
avec les stéréotypes et les images renvoyées par la photographie
dans Mask Series. Il fait le portrait d’autochtones qui ont été
personnellement affectés par notre relation complexe avec l’objectif
et les invite à extérioriser et à transmettre leur mépris intérieur
au moyen d’expressions faciales afin de s’inscrire en faux contre
la représentation traditionnelle des peuples autochtones comme
étant silencieux, stoïques et suffisants.
À l’instar d’Arthur Renwick, KC Adams s’attaque aux stéréotypes
dans la série Cyborg Hybrids. Elle photographie des artistes d’origines
autochtones et européennes qui ont souffert d’être stéréotypés
et peuvent être décrits comme des avant-gardistes branchés sur
la technologie et des hybrides culturels. Dans ces photographies
retouchées numériquement, les sujets portent des colliers ras le
cou et des tee-shirts blancs sur lesquels sont brodés des stéréotypes,
tels que « Scalping is in My Blood » (« Scalper est dans ma nature
»). Modifiées à l’aérographe, les photos rappellent celles des
magazines de mode contemporains tout en caricaturant les clichés
du 19e siècle et du début du 20e siècle. Les modèles de KC Adams
se veulent provocants ou fiers dans leurs expressions et ne se
laissent pas définir par les slogans sur leur tee-shirt, la photographie
immortalisant leur force tout en exposant l’absurdité des stéréotypes.
Nadia Myre offre également au peuple autochtone une tribune
pour exprimer sa ténacité dans The Scar Project. Elle invite
en effet
les participants à coudre la représentation d’une cicatrice
personnelle sur une toile tendue et à écrire l’histoire de
leur blessure
qui s’y rattache à un pupitre, qui sert alors de lieu d’autoréflexion
et d’auto-expression. Présentées comme un tout, les œuvres
sont à la fois bouleversantes et réconfortantes, subtiles mais
puissantes,
aussi troublantes que cicatrisantes. Tandis qu’Arthur Renwick
et
KC Adams font le portrait de leur communauté, Nadia Myre invite
ses pairs à écrire leur histoire. Il en résulte un métissage
de souvenirs individuels et collectifs.
Si les processus de création et de narration peuvent être aussi
importants que leurs résultats pour Nadia Myre, Hannah Claus
met l’accent sur le fait de transmettre son histoire et sa
culture
par des méthodes laborieuses, comme la broderie perlée en tant
que marque de temps, processus et affirmation culturelle. Dans
l’installation vidéo Repeat Along the Border, elle rassemble
ainsi des symboles représentant des objets et des lieux familiers
porteurs
de sens. Elle se concentre sur la réappropriation et la réinterprétation
des récits, insistant sur l’importance du langage dans les processus
de création comme le perlage. En fusionnant et en superposant
paysages et tissu brodé de perles, elle donne effectivement
un nouveau sens
à la terre et souligne le lien qui l’unit aux peuples autochtones.
Les œuvres de Janice Toulouse Chartrand et de Jean-Pierre Pelchat
sont aussi empreintes de la présence autochtone sur la terre
en relatant l’histoire complexe qu’ont engendrée la colonisation
et
l’action gouvernementale. La toile Red Land, d’une richesse iconographique
incroyable (animaux, mât totémique, flore, faune, paysages),
Janice Toulouse Chartrand rend ainsi un hommage sincère, poétique
et plein
d’esprit à la terre. Plus abstrait, Treaty Talk évoque le sentiment
de perte causé par les traités qui consistaient à prendre, à
diviser et à disperser les terres.
La relation entre les intervenants autochtones et non autochtones
qui ont négocié les terres est illustrée dans l’œuvre de Jean-Pierre
Pelchat. Ce dernier en sait long sur le problème : il vit dans
la communauté crie de Chisasibi et a subi les conséquences des
projets de barrages d’Hydro-Québec. Dans The Brave Ravens, il
suggère que les négociations pour la terre sont une partie de
poker qui
ne se joue qu’en petits groupes alors qu’elles se répercutent
sur le rapport à la terre d’une grande majorité. Dans Landslide,
l’acquisition
de la terre est présentée sous forme de publicité. Cela laisse
entendre que la terre des Cris est à prendre au nom du « progrès
», idée que l’artiste a du mal à comprendre et à accepter.
Inspiré par la vue des grandes plaines d’Amérique du Nord qu’il
apercevait par le hublot d’un avion, Jason Baerg a créé The Plain
Truth, une série de peintures et de caissons lumineux. Dans cette
œuvre, l’artiste explore notre position dans les espaces physique,
physiologique et virtuel. Il en résulte une explosion de couleurs
et de cartographie abstraite qui suscite l’engagement, la réflexion
et la responsabilisation. Jason Baerg suggère que le possible
peut être réalisé, et répète que le fait de remonter aux origines
de
la terre et de la nature peut nous permettre d’aller au-delà
de ce qui se trouve directement face à nous.
L’engagement communautaire est un point commun entre tous ces
artistes. En tant qu’artiste et actrice du changement social,
Ellen Gabriel
considère la terre, la famille et la communauté comme des ressources
pour survivre dans un environnement en constante évolution. Dans
Tota Elizabeth, elle rend hommage à sa grand-mère en peignant
sa force et son charisme. Bien que le dessin et la peinture soient
pour elle d’importants moyens d’expression, dans Ro’nahkwa’ekstha
Drummer, elle se plonge dans la photographie numérique afin de
trouver un juste milieu entre pratiquer son art et travailler
pour
sa communauté. La photographie numérique est en effet plus instantanée
que la peinture ou le dessin et peut servir de guide d’exploration
personnelle et communautaire.
Pour Wahsontiio Suzanne Cross et Julie Flett, raconter une histoire
est un moyen d’expression clé pour entrer en contact avec la
communauté, bien qu’il ne s’agisse pas forcément de récits linéaires
ou de
formes narratives. Dans Raven Moon, Wahsontiio Suzanne Cross
fusionne la nature, le mythique et les priorités personnelles
au moyen d’images
familières. Quant à Julie Flett, elle s’inspire de son entourage
et de la structure des rêves. En tant qu’illustratrice, elle
interprète des textes au moyen d’une imagerie qui reflète la
sensibilité et
l’imaginaire autochtones. Elle explore ainsi la narration visuelle
en utilisant des images que les communautés peuvent reconnaître
et comprendre, comme dans Yootin.
Dans Imagining Indians in the 25th century: a millennium of First
Nations history, Skawennati Fragnito propose un forum sur l’exploration
virtuelle, la narration et le jeu. Cette œuvre Web innovante
présente un point de vue autochtone sur un millier d’années d’histoire
(1490
- 2490). L’artiste nous invite ainsi à accompagner Katsitsahawi
Capozzo, une Métisse cosmopolite, et à parcourir un millier d’années
d’histoire pour rendre visite à des personnages et lieux importants.
À chaque arrêt, elle change de costume et décrit ses aventures
dans son journal. Les participants peuvent choisir la période
dans laquelle ils veulent voyager, contrôlant ainsi la narration
historique
tout en y contribuant. Imagining Indians défie l’histoire coloniale
actuelle; cependant, au lieu d’entraîner colère ou honte, l’histoire
est empreinte d’humour et de sincérité tout en étant accessible
grâce à son caractère ludique.
L’œuvre de Ryan Rice rappelle au public qu’humour et ironie sont
nécessaires à la ténacité culturelle. Dans Idols, il souligne
le pouvoir des images de la culture pop et place sur des boîtes
à
lunch la silhouette de certaines de ses idoles, parmi lesquelles
Pauline Johnson, le chef Joseph et Geronimo. Ayant grandi sans
pouvoir se reconnaître dans la culture populaire, il répare ce
tort historique et remplace les Superman et autres héros du même
genre par Pauline Johnson et Kateri Tekawitha. Dans Wild Ones,
trois animaux du clan mohawk sont en laisse et s’agitent dans
la ville.
Ceci résume et situe le travail des douze artistes de l’exposition.
Ces derniers ont tous trouvé leur voie à l’Université Concordia,
au centre-ville de Montréal, en suivant les traces de leurs ancêtres,
en affirmant leur identité autochtone et en m’offrant refuge
dans les couloirs de Concordia, tandis que j’étais en quête de
familier,
à la recherche de ma communauté, sur les traces des meneurs qui
allaient me guider dans mon propre cheminement culturel.
– Catherine Mattes
Conservatrice et écrivaine métisse, Catherine Mattes a obtenu
une M.A. en histoire de l’art de Concordia en 1998 et un B.A.
de la
University of Winnipeg en 1996. Son mémoire de maîtrise, intitulé
Whose Hero? Images of Louis Riel in Contemporary Art and Metis
Nationhood, était à la base de l’exposition Rielisms (2000) qu’elle
a organisée au cours de sa résidence à la Winnipeg Art Gallery.
Elle a grandement participé à la création et au soutien de réseaux,
d’institutions et de possibilités pour les arts autochtones.
Membre du conseil d’administration de la Urban Shaman Gallery
pendant
quatre ans, elle s’est impliquée dans Nation to Nation, groupe
canadien d’art autochtone installé à Montréal, et a été conservatrice
à la Art Gallery of Southwestern Manitoba. Dans sa pratique de
conservatrice, Catherine Mattes se concentre sur les questions
et l’art autochtone, notamment dans Re: Collections - First Nations
Photography (1999, Winnipeg Art Gallery), et dans Blanket(ed),
exposition et échange collaboratif entre la Urban Shaman Gallery et le Boomalli Aboriginal Artists’ Co-operative, à Sydney,
en Australie (2001). Actuellement membre du Collectif des conservateurs
autochtones, chargée de cours à temps partiel à la Brandon University,
et responsable des relations culturelles et coordonnatrice des
activités de sensibilisation pour Mentoring Artists for Women's
Art (MAWA, Winnipeg), Catherine Mattes a récemment présenté diverses
expositions, dont Transcendence de KC Adams (2006), Rockstars and
Wannabees (2007) et Crème moitié-moitié (2008).
Catherine Mattes a rédigé des essais pour la Urban Shaman Gallery,
le MAWA, le Centre de l’art indien, la Winnipeg Art Gallery,
Aboriginal Voices et Border Crossings.