Jake Moore – Reverse Engineering/Rétroingénierie
du 9 juillet au 15 août 2008
Jake Moore travaille à partir d’images de la nature qu’elle voit comme une réflexion silencieuse sur la culture occidentale. Son nouveau projet, Reverse Engineering, propose une vision métaphorique et abstraite de branches d’arbre, numérisées en 3D et représentées en tant qu’objets médiateurs laissés à la libre interprétation du visiteur. Au centre de la galerie, un socle évoque la trace des branches originales, sortes d’ombres tout aussi représentatives que les images indiciaires posées au mur.
Maskull Laserre - Recital
(Vitrines) L’œuvre de Maskull Lasserre explore les notions de classe, de culture et d’artefacts transmués par l’artiste, et revisite les objets sculpturaux statiques exposés dans l’espace traditionnel des galeries d’art. Ressemblant à des instruments de musique mécaniques, fonctionnant presque de la même manière, ses sculptures ont une fonction, un usage ou un objet qui transcendent leur mutisme intrinsèque et interpellent le visiteur dans sa recherche d’appréhension de l’œuvre.
Appréhension : Recital de Maskull Lasserre
par Christine Unger
21 juillet 2008
Vue de loin, l’installation « Recital » de Maskull Lasserre apparaît comme une collection ordonnée d’objets soigneusement présentés dans les Vitrines de la Galerie de la Faculté des beaux-arts (FOFA) de l’Université Concordia. Isolées par l’espace, par l’éclairage et par d’imposants piliers, blotties derrière un mur de verre, les sculptures ressemblent à des objets du passé, voire à des reliques. Lorsqu’on s’approche dans l’étroit corridor de l’Université et qu’on se met à les examiner une à une, la perspective change cependant et s’enveloppe de mystère. Ces objets du quotidien au pouvoir évocateur sont étonnamment imbriqués et semblent dotés d’un potentiel d’expression (surtout sonore) inhérent à leurs articulations tactiles. Formées d’éléments usuels d’une autre époque amalgamés à des parties d’instruments de musique, les sculptures de Maskull Lasserre nous ramènent à nos souvenirs et jouent avec nos attentes, sortes d’artefacts équivoques qui suscitent une interrogation sur la fonctionnalité. Elles invitent à l’expérimentation tout en provoquant un sentiment de frustration. Ces instruments artistiques d’où devraient sortir des sons nous incitent à tourner autour d’eux, tel un animal curieux, et à les examiner sous différents angles avant de nous en approcher pour enfin en jouer. Emmurés, hélas, ils nous sont désespérément et délibérément interdits, rendus silencieux par les circonstances.
Ces créations insolites entremêlent ingénieusement des objets usuels de l’ère prénumérique. En les refaçonnant par un jeu habile d’ajouts et de retranchements, l’artiste octroie une nouvelle signification à des éléments disparates (pianos, violons, chaise, machine à écrire, cintres, etc.). L’élégante réinvention d’éléments désuets, mais agréablement familiers, nous ramène naturellement à un passé nostalgique. Pour un peu, on se croirait dans un musée d’artefacts patiemment reconstruits par un archéologue bien intentionné qui ne ferait que peu, ou pas, référence à leur utilité première. Résultat : une série d’instruments de musique issus d’une lignée parfaitement inconnue.
Les chimères musicales de l’artiste témoignent d’une conscience aiguë du potentiel expressif des objets. Isolées dans un environnement relativement stérile, les œuvres font certes penser à des artefacts, mais rien ne nous empêche de les imaginer dans le cadre d’un récital de musique classique. Lorsqu’un musicien professionnel joue d’un instrument, le son semble émaner naturellement du mouvement si bien que, devant un pianiste à l’œuvre, on peut facilement imaginer la musique sans pour autant l’entendre. De même pour les sculptures de Lasserre : elles suggèrent un son ou une « musique » en raison de leur potentiel cinétique et de notre capacité d’anticiper les virtualités sonores des instruments de musique qui les composent. Bien que l’installation soit dénuée de tout élément audible, l’ouïe est néanmoins conviée au rendez-vous. De l’avis même de l’artiste, ses sculptures présentent la musique comme métaphore. L’inversion entre le musicien et son instrument, comme dans l’œuvre Duet où certaines touches d’un piano sont sculptées en forme de doigts, vient soulever le dilemme intrinsèque de l’art. À quel moment l’interprète passe-t-il d’instrument(iste) à artiste? Quand l’objet d’artisanat devient-il œuvre d’art? Chaque sculpture fonctionne uniquement comme sa propre contemplation philosophique. Cette métaphore de la musique pose la question des liens entre le son, l’instrument et l’articulation musicale délibérée et, plus largement, celle de l’utilité et du raisonnement chez l’être humain — la nature du changement, de la perte, de la découverte et de la redécouverte, de l’agression et de la digression.
La présentation muséale des œuvres, la réalisation soigneuse de chacune des sculptures et la beauté des éléments de départ, vestiges de l’ère prénumérique, nous rendent nostalgiques d’une époque et d’une culture qui valorisaient le travail manuel, le long et patient labeur de l’artisan, la solitude et, bien sûr, la musique. La vidéo Verisimilitude in C, justement présentée sur un banc de piano, repasse silencieusement en boucle la construction et la déconstruction d’un piano. Sans les autres éléments de l’installation, on pourrait y voir une critique du mutisme et de la futilité engendrés par la numérisation de l’art et, en particulier, de la musique. Or, au milieu des autres sculptures de Lasserre surgit la perspective d’un changement porteur d’espoir : les objets et même le sens peuvent être sauvés, revisités, transformés si seulement ils sont placés dans une conjoncture nouvelle, voire insolite, si improbable soit-elle.
L’œuvre de Lasserre suscite l’« appréhension » (le mot est de lui): la soudaine prise de conscience que, plutôt que de conduire à l’inaction, elle peut, par inférence du mouvement et du son, susciter l’anticipation et le désir d’agir. Chacune des sculptures de Recital pose une énigme philosophique, une question ouverte qui laisse le spectateur repartir avec un sentiment d’attente et un nouveau regard sur les objets quotidiens appartenant à un passé à toutes fins utiles révolu.