Plantes (iPod), une installation de Jane Tingley
Même avant d’entrer dans la pièce où logent les Plantes (iPod), vous pouvez les entendre, bien que faiblement. Elles semblent respirer et si on écoute plus attentivement, le rythme apaisant de la respiration humaine peut évoquer d’autres sons : le bruit du flot rythmé de l’eau fraîche sur des roches, assourdi ou étalé, ou encore le bourdonnement mécanique d’un moteur, ou peut-être le ronronnement d’un éventail électrique. On ne saurait dire.
Dès qu’on s’approche des Plantes (iPod), les sons cadencés se transforment en doux murmures. Elles s’adressent immédiatement à vous comme si elles souhaitaient votre présence et comme si elles cherchaient à vous enchanter avec leurs histoires, récitées si discrètement. Il s’agit de très vieux contes, de légendes d’arbres, de forêts et de berceuses, déjà entendues maintes fois en diverses contrées et lieux anciens. L’écoute de chaque récit nous rappelle comment, au cours des siècles, la vie humaine a été intimement reliée à la vie végétale, à la nature non-humaine.
En flânant au travers de l’aménagement quadrillé de plantes murmurantes, on peut certainement remarquer d’autres indices de culture humaine. Les plantes luxuriantes semblent avoir produit une variété d’appendices : des branches, d’étranges formes bulbeuses, des motifs géométriques, et des genres de gousses ou fuseaux – chacun recouvert de l’écorce de l’arbre à liège. Quelques-unes des formes artificielles sont des prothèses soigneusement sculptées qui servent à soutenir de délicats pédoncules ou à supporter le poids de lourdes feuilles, créant ainsi un équilibre autrement incertain.
Ici et là, les appendices recouverts de liège s’étirent dans des directions inattendues comme s’ils voulaient développer leurs propres pousses indépendantes, imitant la croissance qui suit un émondage. Ainsi intégrées aux prothèses artificielles, les plantes naturelles en viennent à ressembler à des arbres et donnent l’apparence d’une petite forêt, une forêt enchantée. Mais ce n’est évidemment pas un boisé.
Ce ne sont clairement pas des arbres, car on peut voir comment les fuseaux enrobés de liège, diversement sculptés, recouvrent des pots à fleurs contenant la terre et l’humidité qui nourrissent les racines de chaque plante. De plus, des fuseaux/pots semblables contiennent des cultures synthétiques fournissant le soutien des nervures électroniques qui relient les détecteurs et les hauts-parleurs qui permettent à chaque plante de réagir à la présence humaine, de respirer et de raconter son histoire. On peut même voir comment les racines - ou fils électroniques - s’étendent au delà des formes électroniques artificielles, se dispersant dans l’environnement, à l’égal de veines visibles qui s’étendent sur le plancher pour atteindre, ou rechercher, leur propre source de vie ‘électrique’.
Les racines organiques et les systèmes électroniques observés dans les Plantes (iPod) sont issus d’autres installations de Jane Tingley. Ils rappellent The Body: thrichobotria de 2004 où une forme humaine, articulée par un système de nerfs finement tissés, s’étire au delà de ses frontières corporelles dans l’environnement, évoquant ainsi le système nerveux cutané humain qui peut ressentir le monde extérieur par le biais du toucher et d’autres sens. Pareillement, le milieu réagissant de Peripheral Response 2006 de Jane Tingley qui expose le système nerveux périphérique du corps, cette fois au moyen de la technologie. Des formes robotiques, inspirées d’illustrations des récepteurs sensoriels du corps tirées de manuels médicaux, en réagissant à la présence des visiteurs permettent étudier l’interaction entre les corps et l’environnement. Des systèmes de détecteurs encore plus compliqués sont en jeu dans son installation Plantes (iPod).
Que sont les Plantes (iPod) de Jane Tingley ?
Il est évident que les plantes sont ici le centre d’attraction. Mais ce n’est pas totalement vrai. Les Plantes (iPod) exposent leur profond enracinement dans la culture humaine, en laissant ouvertement voir leurs racines technologiques. Le titre de l’installation, Plantes (iPod), souligne clairement leur qualité hybride, comment elles sont formées d’organismes végétaux et de systèmes électroniques – sans oublier, bien entendu, l’élément humain - soit l’oreille qui écoute. Même la respiration que l’on entend en tout premier lieu est un enroulement de sons humains et mécaniques. Loin d’être cacophonique, la fusion des éléments humains et mécaniques est harmonieuse, tout à fait naturelle. Pareillement, les prothèses en liège, fabriquées manuellement, intègrent sans soudure les organismes végétaux et les composants technologiques leur insufflant une vie nouvelle. Dans chacune de ces formes sculptées, on trouve un caisson de basse encastré avec des branches métalliques qui supportent les capteurs et d’autres hauts-parleurs. Mais pourquoi les Plantes (iPod) hybrides réagissent-elles à notre présence ? Pourquoi nous parlent-elles ?
Que nous disent les Plantes (iPod) hybrides ?
Le chuchotement des Plantes (iPod) permet au visiteur de percevoir, de façon autant physique et naturelle qu’auditive, la relation complexe entre la nature/culture humaine et non-humaine. Les contes anciens récités par les Plantes (iPod) sont, bien entendu, des histoires ‘humaines’ touchant la relation humaine végétale : paroles de vertu, de morale, de conflit, de responsabilité. Ils rappellent comment la créativité et l’imagination des humains sont fondées sur la magie et l’enchantement des forêts et des arbres; comment la nature non-humaine est une source de musique et de chant, de beauté et d’art. Les histoires qui décrivent comment les organismes végétaux fournissent aux humains un système vital de soutien, des moyens d’existence, des outils et des technologies sont plus fondamentales encore. Certains pourraient prétendre que la technologie, si retranchée dans un passé militaire et dans une pensée positiviste moderne, est un phénomène culturel qui nous éloigne de la nature. Mais, est-ce vraiment le cas ? Regardez seulement les Plantes (iPod) un peu plus attentivement.
Que nous montrent les Plantes (iPod) hybrides ?
En tant qu’hybrides de systèmes de racines naturelles et électroniques, intégration de cultures humaine et non-humaine, les Plantes (iPod) sont des manifestations de nature/culture qui chuchotent, parlent ( et écoutent ). De plus, elle annoncent, de façon inconditionnelle, le rôle élémentaire de la technologie dans le passé de la nature/culture. C’est tout naturel puisque les plantes et les arbres ont toujours été et continuent d’être la source de nos technologies de base. Ils servent à nous loger et à nous abriter, à nous vêtir et à nous protéger, à nous nourrir et à nous soigner. Ils nous fournissent la chaleur et la lumière, et les moyens de fabriquer un nombre infini d’outils et de mécanismes, même des instruments comme des pianos, des flûtes ou des violons. La liste est sans fin. On pourrait même se demander comment la révolution Gutenberg et la dissémination des connaissances, fondements des révolutions scientifiques, auraient pu évoluer sans papier, et comment les révolutions industrielles auraient pu progresser sans le bois et le charbon pour chauffer les bouilloires. Même aujourd’hui dans notre ère électr(on)ique , des poteaux en bois servent à supporter les réseaux de transport essentiels à nos technologies de l’information. C’est cela que Jane Tingley soulignait dans son œuvre, Branch prosthetic de 2007, où elle attache des branches à des poteaux de téléphone et d’électricité, nous rappelant ainsi que la nature est la source de ces poteaux. Il est donc approprié que des systèmes électroniques et prothétiques soient aussi intégrés dans son installation Plantes (iPod) surtout si l’on songe que diverses technologies, pour le bien ou pour le mal, ont été de longue date au cœur de l’histoire nature/culture de l’humanité.
Texte de Ernestine Daubner, département de l’histoire de l’art, Université Concordia.
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