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La longue attente : les Forces canadiennes de l’OTAN en Allemagne
« Cet immense mur de feu d’environ un mille de diamètre s’élevait, passant du mauve à l’orange alors qu’il continuait de jaillir, de grossir et de monter tout en se dilatant, formidable puissance élémentaire enfin libérée après avoir été enchaînée pendant des milliards d’années. »
-Traduction libre d’un témoignage sur l’essai atomique Trinity du 16 juillet 1945 par William L. Laurence – New York Times du 26 août 1945
Le 6 août 1945, le monde a changé à tout jamais. Le bombardement d’Hiroshima et de Nagasaki par les Américains, s'il a marqué la fin de la Seconde Guerre mondiale, a aussi sonné le début de l’ère de la guerre nucléaire pour toute l’humanité. Le monopole américain sur les armes atomiques prit fin en 1949 lorsque la Russie fit exploser son premier dispositif nucléaire. La guerre froide était bien amorcée.
La longue attente est une série de photographies qui explore le passé militaire du Canada pendant la guerre froide. Elles ont été prises dans les douze bases canadiennes de l’OTAN en Allemagne, en fonctionnement de 1956 à 1993. Ces bases furent installées dans deux régions : dix dans la vallée de la Ruhr, dans le nord de l’Allemagne entre Dortmund et Kassel, et les deux autres – des bases aériennes – dans le sud près de Baden. Elles représentent les lignes de front de la lutte du Canada contre le communisme durant la guerre froide. Ce combat portait autant sur l’idéologie que sur le pouvoir, créant une scission entre l’Est et l’Ouest, entre le capitalisme et le communisme, entre l’athéisme et le christianisme et, dans l’esprit de certains, entre le bien et le mal.
Bref historique
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne est divisée en quatre zones occupées. Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni administrent l’ouest du pays; l’Union soviétique, l’est. La ville de Berlin est elle-même divisée entre l'est et l'ouest. Rapidement, l’Union soviétique montre sa volonté de maintenir son contrôle sur l’Allemagne de l'Est tandis que les autres pays permettent à l’Allemagne de l’Ouest de s’autorèglementer. L’Union soviétique devient de plus en plus agressive, allant jusqu’à fermer ses frontières à Berlin-Ouest et à bloquer les voies d'approvisionnement à cette partie de la ville. Le blocus de Berlin, qui commence en 1948, est la première crise majeure de la guerre froide. Le 4 avril 1949, l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) est créée afin de contrer l’expansion soviétique dans le reste de l'Europe. Le contrôle de Berlin étant l’une des principales sources de conflit, les alliés de l’OTAN, dont le Canada, se mettent à envoyer des troupes en Allemagne de l’Ouest. À l’apogée de ces opérations, le Canada compte plus de 10 000 soldats postés là-bas. La mission de l’OTAN en Allemagne a duré de 1953 à 1993 et constitué la plus importante et la plus longue activité militaire canadienne en temps de paix. Devant la menace d’une invasion soviétique de l’Allemagne de l’Ouest, le Canada devait attaquer l’armée soviétique et la forcer à ralentir; les forces de l’OTAN pourraient ensuite détruire le plus gros des troupes en progression en utilisant des armes nucléaires. Les Forces canadiennes ont été en état d’alerte pendant toute la mission et les familles des soldats ont souvent dû pratiquer des exercices d’évacuation.
Le Canada a maintenu une participation substantielle dans cette lutte contre le communisme. Ses bases militaires étaient plus que des lieux de vie et de travail pour les seuls soldats : pendant quarante ans, des milliers de familles canadiennes s'y sont établies, à l'intérieur même ou à proximité. Ces bases leur fournissaient tout le nécessaire : magasins acceptant la devise canadienne, églises catholiques et protestantes, théâtres, piscines, arénas, gymnases, salles de quilles et autres formes de loisirs. Des écoles furent construites pour les enfants des soldats canadiens dans les villes et les villages environnants. L’investissement en équipement constitue la plus importante allocation pour une opération en temps de paix : le contingent canadien de l’OTAN était une brigade mécanisée dotée de chars, d’avions, d’une flotte d’avions de combat, de véhicules blindés de transport de troupes, de canons et d’une petite réserve d’armes nucléaires tactiques – fait rarement mentionné lorsqu’on parle du rôle du Canada dans le maintien de la paix.
Les bases canadiennes aujourd'hui
Après la mise hors service des bases en 1993, les terrains furent rétrocédés au gouvernement allemand. Bien qu'elles aient connu des transformations majeures, on y retrouve encore la plus grande partie des infrastructures canadiennes d'origine. Fort McLeod et Fort York sont les mieux préservées de toutes. Fort McLeod est maintenant un camp pour les immigrants qui demandent le statut de réfugié en Allemagne, le temps que durent les formalités. Fort York, qui jusqu’à tout récemment était utilisé par l’armée allemande, a été converti en site pour tester les explosifs et pour former pompiers et policiers. Fort Beausejour, Fort Prince of Wales et Fort Chambly sont devenus des parcs industriels équipés d'espaces industriels et commerciaux; à Fort Chambly, certaines casernes ont été converties en résidences à logements. Fort Anne a été transformé en terrain de golf. Fort Victoria et Fort Saint Louis, tous deux abandonnés, sont envahis par la végétation tandis que leurs bâtiments se délabrent peu à peu. Fort Henry est maintenant une ferme d’élevage des animaux. Fort Qu’Appelle, celui qui a le plus changé, sert également aujourd'hui de résidence à logements. Les deux bases aériennes Baden Soellingen et Lahr sont encore des aéroports en exploitation et Soellingen abrite également une piste d’essai de motocyclettes BMW.
Le projet
La longue attente est une captation photographique des bases militaires canadiennes de l’OTAN en Allemagne. La guerre froide a été assombrie par le secret, la duplicité et le désordre. Par diverses stratégies documentaires, les photographies tentent de créer un répertoire visuel aussi objectif que possible des sites dans leur état actuel. Les images révèlent l'intérieur et l'extérieur des bâtiments, soulignant leur ancienne fonction et le milieu rural qui leur sert de décor. Elles décrivent non seulement ces sites lourds d'histoire de façon très détaillée, mais évoquent également le climat géopolitique dans lequel ils furent construits. Par ailleurs, elles nous permettent de voir quels effets le temps et l'économie ont eus sur eux. Certains ont mieux préservé leur utilité en raison de leur proximité des agglomérations urbaines et de leur potentiel d'usage commercial. Par leur état actuel d'utilisation et leur corrosion, ces sites rappellent pour un temps encore la participation du Canada à la lutte contre l'agression soviétique.
Au-delà de l'exploration historique, ce travail artistique demeure d'actualité, car il montre les similitudes entre l'ancienne guerre froide et l'actuelle lutte contre le terrorisme. S'appuyant sur la rhétorique du bien contre le mal, du fanatisme religieux ou de la méfiance envers autrui, les deux conflits ont eu pour effet de restreindre les libertés civiles partout dans le monde et d'augmenter les investissements militaires. Rappelons que les dépenses militaires du Canada sont à leur plus haut niveau depuis la guerre de Corée en 1952. Devant la prolifération des armes nucléaires, l'éventualité d'une nouvelle guerre froide demeure. Pendant quarante ans, les Forces canadiennes ont attendu qu'un combat nucléaire éclate; pourtant, peut-être par hasard, la guerre atomique a été évitée.
Le projet La longue attente relate une page de l'histoire marquée par la menace nucléaire et le positionnement idéologique. En photographiant chacune des bases, l'artiste a tenté de saisir un conflit aussi profond qu'incompréhensible. Ses clichés permettent de se souvenir d'une opération militaire qui a mobilisé des milliers de Canadiens et dont la victoire a consisté en une attaque qui n'a jamais eu lieu.
Nous remercions de son soutien le Conseil des Arts du Canada, qui a investi 37,8 millions de dollars l'an dernier dans les arts au Québec.
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