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Photo: Denis Farley

Johanne Sloan, Department of Art History
La sculpture Zoom! de Randall Anderson

Une figure humaine en pleine allure maintient son élan et sa direction malgré une énorme force contraire formée de matériaux à l'apparence de papiers comme si l’air était complètement remplie de documents, de lettres, de circulaires, etc. Sous certains angles, le contour du corps est clairement visible, enveloppé d’un tourbillon d’information. En passant autour de Zoom! la sculpture de Randall Anderson, on découvre toutefois un centre évidé. Il n’y a ici aucune substance physique, uniquement l'impression d’un corps au cœur d’un espace citadin. Zoom! apparaît face à la solidité d’un environnement construit, et se juxtapose aussi bien au mouvement incessant de la vie urbaine.

Les sculptures figuratives de grande taille sont une rareté dans l’art contemporain. Si la sculpture moderne s’est éloignée de la représentation du corps humain idéalisé, on peut affirmer que la sculpture elle-même a été largement remplacée par les installations au cours de la fin du vingtième siècle.  Cela signifie que les artistes intéressés à savoir comment le corps humain peut être transposé en forme sculpturale doivent remonter dans le temps pour redécouvrir un vocabulaire de poses et de gestes, de textures de surface et de modes de présentation.  Il est donc évident que la figure sculptée de Anderson évoque l’histoire tronquée de la sculpture figurative du vingtième siècle ; en quelque sorte, l’artiste nous ramène à la scène du crime.  Zoom! semble rendre hommage aux parties de corps s’envolant en spirales de Unique Forms of Continuity in Space (1913) de Boccioni, tout en s’inspirant des figures amenuisées en marche ou en course faites par Giacometti durant la période d’après-guerre. De telles œuvres ont conduit la représentation sculpturale du corps humain au seuil de la dématérialisation. Donc, quand des artistes contemporains ou post-modernes reviennent parfois au problème de la figuration tri-dimensionnelle, c’est souvent en dialogue avec ce moment de dissolution. On en trouve des exemples dans les formes corporelles évidées ou annihilées crées par Ana Mendieta ou Jana Sterbak.  Toutefois, même quand les sculptures de corps humains ne sont pas délibérément excavées, elles sont limitées dans leur habileté à fonctionner comme substituts d’êtres humains, remplis de conscience et d’intériorité. Dans The Dream of the Moving Statue, Kenneth Gross note que « les statues évacuent la vie intérieure scandaleuse du corps humain, ses spasmes cachés, ses désirs, ses réflexes, ses émotions et ses bruissements.(1) »

Toutefois, Anderson s’intéresse spécifiquement au mouvement et ce n’est pas coïncidence que Zoom!, à l’égal d’illustres prédécesseurs, utilise une pose d’impulsion fondamentale. La sculpture de Anderson reprend et réinterprète ces aspects de la sculpture moderne. Bien entendu, les questions de mouvement et d’expression font partie de l’histoire plus vaste de la sculpture et de la statuaire.  Selon la tradition européenne, c’est la façon dont une figure sculptée semble se tourner, déplacer son poids ou son geste qui produit l’impression ; ces mouvements illusoires traduisent un état d’âme ou d’émotion, une histoire ou une allégorie, ou même des questions sociales ou politiques. En fait, en se déplaçant eux-mêmes autour d’une statue depuis des siècles, les spectateurs ont appris à lire l’intention et le sens de chaque tournure ou torsion du corps sculpté.  Ainsi, le corps du David de Michel-Ange n’est que légèrement tourné en contrapposto, mais cette subtile rotation devient le symptôme de l’énergie latente et contenue d’un individu (et peut-être même d’une cité-état).  Cependant, le Zoom! d’Anderson suggère l’impulsion par le biais d’un geste plus fondamental qui remonte aux statues égyptiennes. De formes plutôt  rigides, ces figures avaient une jambe avancée au devant de l’autre, somme si la personne/statue allait se mettre à marcher. Ce simple pas est peut-être le degré-zéro du mouvement implicite, et dans le cas de Zoom!, le mouvement vers l’avant est encore plus prononcé. Et ainsi, même si la sculpture est une figure humaine dé-individualisée et dé-matérialisée, on lit ce « mouvement » comme une confrontation motivée du monde. Chez Anderson, le contour en fibre de verre résonne avec les milliers d’individus qui peuplent les rues de la ville, chacun poussé à continuer de bouger pour accélérer la perspective d’une rencontre avec des espaces, objets, relations, idées ou transactions inédits.

Zoom! nous donne l’illusion d’un corps en mouvement, mais nous avons aussi l’illusion d’un corps qui entre en contact avec quelque chose de façon plutôt dramatique. L’artiste a dit au sujet de sa sculpture que « le point de contact est le facteur déterminant.(2) » La description de la sculpture de Anderson au début de ce texte suggère que la figure en mouvement affronte une masse de papier. Mais bien que le matériau ressemble le plus à cela, cette description ou explication de l’assaut de ces plans rectangulaires n’est pas suffisante. Dans un sens moins littéral, la figure en mouvement entre en contact  ou nous devons dire plutôt en collision  avec l’environnement.

Un aspect qui distingue la figure en mouvement de Anderson de ses ancêtres modernistes est ce sens d’être complètement immergé dans la profondeur du monde, tout en enregistrant le choc violent quotidien de ce mouvoir dans ce monde. Zoom! est installé au niveau du sol, près de la rue la plus achalandée de Montréal, et on peut alors imaginer que les exigences commerciales et idéologiques de la ville sont les embûches qui affrontent la figure en mouvement. Pour les travailleurs des édifices à bureaux de ce secteur du centre ville, le barrage de papiers pourrait représenter le milieu bureaucratique qui empêche leur accomplissement. Pour d’autres, ce moment d’impact violent peut suggérer l’environnement cybernétique qui ne cesse de nous bombarder d’un flot incessant d’informations et de divertissements virtuels. En somme, on ne peut vraiment savoir contre quoi s’avance cette figure sans corps  que ce soit l’architecture, l’histoire, la technologie ou autre chose. Mais pour un instant, toutefois le mouvement et l’énergie incessants de la cité semblent en suspens autour d’une unique figure humaine.

(1) Kenneth Gross, The Dream of the Moving Statue (Ithaca and London : Cornell University Press, 1992), p. 32.
(2) Lors d’une conversation avec l’artiste, août 2006.

 


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